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“La Mouette” vibrante entre théâtre et cinéma de Cyril Teste

Hélène Kuttner 25 avril 2022
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©Simon-Gosselin

Au Théâtre Nanterre-Amandiers, dans la chaleureuse salle de spectacle éphémère, la célèbre et énigmatique pièce de Tchekhov reprend une force saisissante dans une mise en scène cinématographique et une adaptation contemporaine signé Olivier Cadiot. Amour, relation filiale, jalousies, désir de création, vieillesse, mort, tous les thèmes sont portés à leur incandescence par une bande de comédiens formidables et une équipe technique impressionnante.

Capter des énergies brutes sur le plateau

© Simon Gosselin

Cyril Teste est le créateur du Collectif MxM, qui tisse des liens intimes entre le théâtre, la vidéo pratiquée en direct sur le plateau, les arts plastiques avec l’utilisation de peintures, de photographies et d’images de synthèse, et la musique de Nihil Bordures, le créateur son. Julien Boizard, le créateur lumière, sculpte en orfèvre l’habillage de ces oeuvres uniques et multiformes. Pour adapter « La Mouette » d’Anton Tchekhov, Cyril Teste a demandé à l’écrivain Olivier Cadiot une nouvelle version du texte dont les personnages s’expriment et vivent de manière contemporaine. Sur le plateau se dessine en fond l’image virtuelle d’un lac sombre bordé par une forêt de sapins, qui peuple aussi l’imaginaire des personnages à petite ou à grande échelle et que les caméras vont reproduire selon des procédés de flou et de distanciation, en écho avec la musique qui projette d’étranges palpitations.

Traquer l’intime des êtres

© Simon Gosselin

Rarement le sens de cette pièce n’aura été aussi limpide que dans cette intelligente mise en lumière de l’intime des personnages et des rapports humains. Par une éblouissante maîtrise technique, le travail vidéo de Mehdi Toutain-Lopez scrute les corps et les visages, démultiplie les plans en créant des juxtapositions d’images qui se succèdent en miroir ou en échos de manière saisissante. Derrière le plateau, un décor de maison de campagne sert de cadre de tournage, de manière à ce que la couleur des plans avant soit confrontée avec celle de derrière, dans la maison, souvent en noir et blanc ou sépia. Le cinéma d’Antonioni, de Godart ou de Cassavetes n’est pas loin, qui vient densifier les scènes de théâtre et plonger dans la peau, l’âme des personnages de manière impudique mais toujours très esthétique.

Comédiens formidables

© Simon Gosselin

Ainsi traqués, épiés dans leur intimité, les comédiens font preuve d’un engagement et d’un talent impressionnant. Mathias Labelle est un frémissant et romantique Treplev, incapable de se détacher de l’amour de sa mère, incarnée par l’éblouissante et explosive Olivia Corsini, et de l’attirance ressentie pour Nina, qu’incarne avec une énergie palpitante et animale la jeune Liza Lapert. Suspendu entre ces deux pôles contraires, sa mère et sa petite amie, le jeune écrivain finira par y perdre la vie, d’autant que l’amant de sa mère, Trigorine, campé par Vicent Berger, l’écrase de sa notoriété d’écrivain et de son pouvoir de séduction sur Nina qui succombe aussi au maître. Autour de ce quatuor conjugal et passionnel, la Macha de Katia Ferreira est bouleversante de tristesse, le Sorine de Xavier Maly, frère d’Arkadina et conseiller d’Etat ainsi que le médecin Dorn, joué par Gérald Weingand, sont tous deux d’une bouleversante sincérité, avec le maître d’école campé par Pierre Timaitre. Tous ces personnages bien entendu inspirés de la vie de Tchekhov, lui même médecin et écrivain, amoureux des actrices, forment le microcosme d’une comédie féroce où l’on s’amuse autant qu’on est captivé par la profondeur des sentiments et des affects. Une sacrée réussite.

Hélène Kuttner

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